Les problèmes de reconnaissances et la fibromyalgie

par Gianni Vullo, le 27 Décembre 2020

Introduction

La fibromyalgie est une pathologie complexe, touchant 3% de la population, et alliant de nombreux symptômes allant de la douleur et de la fatigue chroniques aux troubles du sommeil, de la cognition… Ce syndrome - reconnu depuis 1992 par l’OMS - est décrit précisément par ces multiples symptômes, mais il rencontre encore aujourd’hui de grands problèmes de reconnaissance, au sein de nombreux pays comme à l’international. L’origine de la maladie - organique ou socio-psychologique - n’a encore jamais pu être tranchée, les différents acteurs (le corps médical et paramédical, le secteur pharmaceutique, les patients, leurs associations et leurs proches…) y trouvent des intérêts divers et variés et parfois contradictoires… Les problématiques sont multiples.

Aucun prestige à soigner la fibromyalgie ?

Une étude datant de 2008 (Do diseases have a prestige hierarchy? A survey among physicians and medical students, Social Science and Medicine) met en évidence un concept très intéressant. Il est de notoriété publique que certaines spécialités médicales sont plus prestigieuses que d’autres, comme la neurochirurgie ou la cardiologie, opposées par exemple à la gériatrie.

Mais il ressort ici que les professionnels de santé classent également les pathologies en elles-mêmes, en fonction du prestige à les traiter qu’ils y associent ! Les critères associés à un grand prestiges sont les maladies touchant les organes vitaux, avec une intervention urgente, potentiellement mortelles. L’usage de technologie avancée dans les traitements est également très valorisé aux yeux des praticiens de santé. Au contraire, les problèmes d’ordre psychologique, les maladies chroniques, les maladies ne touchant pas un organe en particulier… Sont vues comme très peu “prestigieuses”.

Le mérite tiré du traitement de pathologies comme comme la fibromyalgie est donc bien moindre pour la communauté scientifique. Comme il est explicité dans l’étude, cette hiérarchisation des pathologies selon le prestige que l’on peut en tirer n’est pas sans conséquence. Ce sont ces mêmes professionnels de santé qui établissent des plannings, décident des ressources allouées au traitement de telle ou telle maladie, définissent les priorités d’actions… Cette notion de prestige dans la médecine nuit donc grandement à la prise en charge de la fibromyalgie.

La multiplicité des incertitudes

De plus, il est très difficile - voire impossible - de fixer un cadre ou un protocole précis et reproductible avec la fibromyalgie. Les symptômes sont nombreux et varient beaucoup d’un patient à l’autre et au cours du temps. Cette particularité de la fibromyalgie peut compliquer les rapports entre soignants et soignés.

Les patients doivent bien souvent consulter de nombreux spécialistes, passer une myriade d’examens pendant des mois voire des années pour éliminer tout autre diagnostic et finir par poser le mot “fibromyalgie”. Le diagnostic de la fibromyalgie met en moyenne sept ans pendant lesquels les patients sont confrontés à cette errance médicale.

Le personnel médical n’est pas en reste : la frustration des patients fibromyalgiques peut être partagée par les soignants. Ils ne parviennent pas à expliquer l’origine des symptômes et leurs soins - médicamenteux ou non - peuvent être mis en échec lorsqu’aucune amélioration n’est constatée chez le patient. Ces différents facteurs peuvent rendre la communication plus difficile lors des consultations auprès des différentes spécialités médicales.

Enfin, on note une autre question au sein du corps médical. Il s’agit de l’hésitation à diagnostiquer, i.e. à nommer la fibromyalgie en tant que telle. Le fait de mettre des mots, entrant dans une “case”, une catégorie, sur ce qui arrive au patient va-t-il le soulager en lui donnant une légitimité ? Sera-t-il au contraire poussé à se concentrer sur sa souffrance, et non pas sur la gestion et l’amélioration au quotidien ?

L’absence de réponses à toutes ces questions ne fait qu’entraver la reconnaissance de la fibromyalgie.

Des intérêts croisés

À la suite des faits et des questionnements énoncés ci-dessus, on peut se demander à qui bénéficie la reconnaissance - ou l’absence de reconnaissance de la fibromyalgie.

Les personnes atteintes de fibromyalgie gagneraient sans aucun doute à ce que leur pathologie soit mieux reconnue. Leur vie sociale et familiale est très impactée, avec des difficultés pour la tenue de la maison, les soins aux enfants et les travaux ménager, etc. Les patients renoncent dans la grande majorité des cas à leur vie sociale antérieure. Les relations avec leurs proches sont perturbées car ces derniers peuvent ne pas comprendre ce qui arrive au malade, en l’absence de visibilité ou de reconnaissance claire de ce qui leur arrive. Leur vie professionnelle est également impactée, même si le retentissement est variable selon le type d’emploi occupé. Les arrêts de travail peuvent être fréquents et de longue durée.

Au niveau du corps médical, les intérêts sont plus mitigés. Certains groupes pharmaceutiques ont effectué des tentatives d’ajout de la fibromyalgie dans les pathologies ciblées par certains médicaments, toutefois sans réelle preuve d’amélioration des douleurs des patients. Ajouter une pathologie bien reconnue au champ d’action d’un médicament accroîtrait potentiellement les ventes dudit médicament. Pour les médecins, le discours n’est pas exactement le même. Comme évoqué précédemment, on remarque une certaine frilosité au diagnostic de la pathologie, et l’errance qui mène finalement à ce diagnostic de fibromyalgie nécessite de nombreux examens et consultations de spécialistes, dont le nombre diminuerait peut-être si la reconnaissance de la fibromyalgie était meilleure (et le diagnostic plus rapide).

Conclusion

Nous avons évoqué ici plusieurs aspects qui contribuent au manque de reconnaissance de la fibromyalgie, aussi complexes et multifactoriels que la pathologie en elle-même.

Tout d’abord, l’origine et la symptomatologie hautement variable rendent le diagnostic malaisé. L’efficacité des solutions proposées aux patients n’étant pas garantie, les médecins sont indécis quant au protocole de traitement à adopter.

De plus, les thérapeutes s’occupant de ces patients sont peu reconnus, les pathologies chroniques et aux origines obscures étant considérées comme moins prestigieuses à traiter.

Ensuite, les patients et leurs proches sont fatigués par les incapacités qu’engendre la pathologie. Certains collègues de travail peuvent se trouver dans l’incompréhension face à la maladie.

Enfin, le nombre colossal de cas recensés représente une grande capitalisation de marché. Les acteurs médicaux (privés et publics) n’ont pas exactement les mêmes intérêts et intentions quant à la gestion des protocoles de traitement. Ces intérêts croisés sont un obstacle de plus à une reconnaissance claire de la pathologie.